22 Sep La louve
LA LOUVE
Se permettre de laisser notre rage nous enseigner, transforme notre rage, et la disperse. Notre énergie nous revient pour être utilisée dans d’autres aires de notre vie, spécialement celle de notre créativité.
Clarissa Pinkola Estés, Les femmes qui courent avec les loups
Une émotion, c’est de l’énergie en mouvement. Cette énergie est sensée se mouvoir et s’exprimer dans nos corps, sinon elle reste coincée dans nos cellules. Nous la retenons et la transportons en nous : douleur, tristesse, colère. Une accumulation de ressentiment. Un poids qui nous alourdit, nous entrave et sape notre vitalité. Ce qui ne veut pas dire que nous devrions crier après quelqu’un quand nous sommes en colère, ou geindre bruyamment au milieu du supermarché. Mais nous avons besoin de trouver des exutoires. Nous avons besoin de cesser de nous excuser pour nos larmes. Nous avons besoin de nous approprier nos émotions.
Nous pourrions apprendre des bambins qui font des accès de colère: ils hurlent et tapent du pied, puis finissent par se relever et passer à autre chose. En mouvement, encore une fois. Ils s’expriment, lâchent prise, et peuvent revenir à la joie.
Quand j’ai eu 40 ans, j’ai décidé de laisser ma relation de 13 ans avec un homme que je croyais être l’amour de ma vie. Même s’il n’était plus investi dans notre relation et était amoureux d’une autre, il avait pris comme un rejet ma décision de partir. Un soir, il s’est mis à vomir des mots cruels et injustes, déchiquetant tout l’amour que nous avions eu l’un pour l’autre. (Plus tard, il m’a demandé pardon, d’oublier qu’il avait jamais prononcé ces mots.)
Mais ces mots étaient entrés en moi comme des coups de poignard. Mon cœur se déchirait et la douleur est montée en moi avec la puissance d’un tsunami. Je sanglotais, submergée, le suppliant d’arrêter. Je suis devenue si ‘émotive’ qu’il s’est enfui à l’étage, ne pouvant plus supporter ma douleur.
Mais mes sanglots se sont intensifiés. Je pouvais à peine respirer. Au lieu de me contraindre à me calmer, j’ai laissé mes émotions prendre le dessus. D’instinct, réagissant comme l’animal blessé que j’étais, je me suis roulée en boule dans un coin de notre garde-manger. Je pleurais de plus en plus bruyamment et mes sanglots se sont transformés en hurlements. Je me souviens d’avoir été un peu effrayée par l’intensité émotionnelle qui bouillonnait en moi et faisait éruption de ma gorge. Une petite partie vindicative de moi-même se réjouissait à l’idée que j’étais fort probablement en train de perturber mon ex. Une autre partie plus détachée de moi-même observait mes hurlements de louve blessée avec une certaine fascination…
Je n’ai aucune idée combien de temps ça a duré : cinq, peut-être quinze minutes, jusqu’à ce que mes larmes se tarissent.
Mais je me souviens très clairement qu’après coup, je me sentais beaucoup mieux. Toutes les émotions contenues des dernières semaines, des derniers mois même, la colère, la peur, le deuil, s’étaient déversés de moi. Je me sentais plus légère. Drainée, décongestionnée, limpide.
Et après ce moment, la dynamique entre mon ex et moi s’est modifiée. J’avais essayé d’être calme et tellement raisonnable pendant notre rupture – il se peut que mes hurlements lui ont permis de finalement comprendre, à un niveau fondamental, la profondeur de mon émotion. Nous avons pu faire nos adieux. Il m’a aidé à emménager dans mon nouveau logis. Il a même posé mes rideaux. Quand je songe à cette période, je prends conscience que ce moment charnière où je me suis donnée la permission de sentir et d’exprimer ma douleur, de m’y abandonner totalement, m’a permis de tourner la page. D’aller de l’avant. J’avais laissé déborder mes émotions et elles m’ont récuré et blanchi pour que je puisse commencer ma vie à neuf.
Bien sûr, c’est un exemple extrême. Mais si je vous le partage ici en toute vulnérabilité, c’est qu’il illustre l’importance de ressentir et exprimer nos émotions.
Trop souvent, nous les comprimons, nous refusons de les examiner, nous leur collons une étiquette: inappropriée, inopportune, mauvaise, faible.
Nous engourdissons nos émotions ‘négatives’ et en faisant cela, nous engourdissons toutes nos émotions.
Aujourd’hui, j’ai cessé d’étiqueter mes émotions ‘négatives’ (colère, culpabilité, envie, tristesse, regret, honte, etc.) comme étant mauvaises. Elles sont des signaux qui me donnent de l’information à propos de certaines situations ou événements dans ma vie.
J’utilise maintenant des outils spécifiques pour nettoyer régulièrement mes émotions. J’utilise ma voix. J’utilise la musique et le mouvement, laissant mes émotions bouger en moi et hors de moi. En tant que déesse, j’ai recours à un processus puissant qui se nomme ‘swamping’ (‘marécager’) pendant lequel je fais bouger la tristesse, le deuil et la colère dans mon corps. Plus important encore, ces émotions, je les transmute en énergie de vie. Le mouvement mue l’ombre en lumière. Essentiellement, je prends cette énergie et je la transforme en amour.
Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus forte. Je suis une femme, et les émotions se meuvent en moi : marées hautes et basses, tempêtes, percées de soleil, douces pluies. Elles vont et viennent, et je les laisse me traverser sans jugement. Je demeure, louve et déesse.
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